Aujourd'hui c'est une chronique de roman que je vous livre de bon matin, sur un classique du XVIII° que j'ai bien failli ne jamais découvrir : La Religieuse.
Il faut savoir que ma première expérience de lecture chez Diderot remonte à deux ans à peine, lorsque j'ai étudié Jacques le Fataliste en deuxième année de Lettres Modernes. C'était une lecture compliquée, éprouvante, catastrophique. Ça partait dans tous les sens et je ne voyais pas où l'auteur voulait en venir, chaque page étant une torture supplémentaire (et bon sang que je déteste me forcer à lire); un très mauvais souvenir qui ne m'a pas donné envie de découvrir d'autres œuvres du monsieur, du moins pas avant un bon moment.
Pourtant, dans ce même cours, j'ai eu l'occasion de lire des extraits d'autres romans, comme Les Bijoux indiscrets ou encore La Religieuse; et pour ce dernier j'avais terriblement envie de me le procurer, surtout à la lecture du résumé. Grâce à la magie des bouquineries c'est chose faite, même si j'ai attendu pratiquement un an avant de m'y plonger sérieusement, et j'en ressors plutôt satisfaite, malgré quelques défauts.
"Parce qu'elle est une enfant illégitime, Suzanne Simonin est enfermée par ses parents chez les religieuses de Longchamp où on la force à prononcer ses vœux. Pieuse et innocente, elle tombe sous la coupe d'une nonne illuminée déjà perdue de mysticisme avant de devenir la proie d'une mère supérieure qui va faire de sa réclusion un enfer. Harcelée, martyrisée, elle subit les pires sévices. Femme cloîtrée soumise à toutes les perversions de la vie monastique, Suzanne peut-elle échapper à la folie?" (résumé Livraddict)
Ne vous attendez donc pas à une histoire joyeuse, le résumé en est la preuve. Tout au long du récit nous allons suivre le parcours de vie chaotique de la jeune Suzanne, obligée de vivre comme religieuse dans des couvents où elle subira la colère, le mépris, la jalousie, la folie de ses consœurs et de ses mères supérieures. La pauvre Suzanne n'a effectivement pas de chance (un peu trop même, mais c'est du Diderot), et ce qui la sauvera à plusieurs reprises c'est son caractère (elle est douce, naïve, obéissante mais très résolue) et son envie de liberté.
Je me suis attachée à cette jeune femme qui n'a rien demandé, et qui va devoir payer l'erreur de sa mère au prix de souffrances et d'épreuves psychologiques épouvantables, mais qui s'attache désespérément à un espoir. La plume de l'auteur est par ailleurs très agréable à lire durant ces passages, ce qui évite des descriptions trop lourdes et angoissantes. Si la naïveté de Suzanne m'a plus d'une fois exaspérée, je la trouve touchante, humaine, et je suis un peu triste de la quitter ainsi à la fin du roman, car finalement on ne sait même pas ce qu'il advient d'elle après son refuge dans la blanchisserie. Va-t-elle en effet trouver un endroit où travailler loin du monde et finir sa vie paisiblement? Ou va-t-elle être retrouvée et replonger dans la tourmente? Mystère. En tout cas le récit est assez rapide à lire, pas difficile à appréhender avec le vocabulaire de l'époque et celui plus spécifique de la religion.
La satire propre à Diderot rend malheureusement la plupart des personnages caricaturaux, donc il m'a été impossible de m'attacher véritablement à eux. C'est le cas notamment pour les mères supérieures, clichés de femmes cruelles, dominatrices et folles qui abusent de leur pouvoir; M. Manouri qui fait figure de chevalier servant afin de délivrer Suzanne de son sort contre absolument rien d'autre (cela lui donne "bonne conscience"); Sœur Thérèse qui est jalouse de sa beauté et qui fait des caprices digne d'un enfant pour exister aux yeux de Sa Mère; ce sont des portraits qui rendent la lecture vivante et dynamique, certes, mais je n'ai aucune compassion pour eux, et cela entraîne un énorme gouffre entre le message sérieux qu'il y a derrière et ceux qui y jouent un rôle.
Le cœur de l'histoire, c'est la religion; et Diderot en peint une vision effrayante mais réaliste, et c'est ce que j'ai finalement le plus apprécié dans ma lecture. A son époque ce genre d'affaires dans les couvents était monnaie courante, et la dénoncer, la mettre aux yeux de tous est une bonne chose. La torture, les moqueries, les punitions, la solitude, l'asservissement, la séquestration, la manipulation; de multiples dérives qui ne devaient pas sortir du lieu en lui-même, Suzanne va vivre tout ceci au quotidien, mais il faut garder à l'esprit que bien d'autres religieuses étaient comme Suzanne. C'est donc une très belle dénonciation de la part de Diderot, qui aurait été parfaite si les personnages n'étaient pas si exagérés dans leur attitudes ou leurs paroles.
En conclusion, j'ai apprécié le message de dénonciation derrière l'histoire de Suzanne; je reproche juste à l'auteur de ne pas avoir été sérieux jusqu'au bout en plaçant des personnages trop caricaturaux dans le récit, ce qui entraîne des situations absurdes et dénature la véritable horreur d'autres situations. Ce roman m'a quand même réconcilié avec Diderot, ce qui n'étais pas gagné d'avance, et j'espère avoir l'occasion de lire d'autres œuvres de cet auteur.
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